Pourquoi capter un visiteur venu d’ailleurs ?
Depuis la découverte de ‘Oumuamua en 2017 et de la comète 2I/Borisov en 2019, la communauté scientifique sait qu’il existe des petits corps – astéroïdes ou comètes – qui ne proviennent pas de notre Système solaire. Ces voyageurs interstellaires portent en eux les empreintes chimiques et physiques de leur nuage d’origine. En les étudiant de près, on pourrait obtenir des indices précieux sur la formation des systèmes planétaires autour d’autres étoiles et sur la naissance même de notre galaxie.
Le hic, c’est que ces objets filent à très grande vitesse (plus de 30 km/s par rapport au Soleil) et passent près de la Terre de manière fugace. Pour intercepter l’un d’eux, il faut non seulement détecter sa trajectoire à l’avance, mais aussi disposer d’une mission capable de se positionner rapidement sur sa route. C’est précisément ce défi que cherche à relever le projet baptisé “3I/Atlas”.
Le concept 3I/Atlas en quelques points
- Un réseau de plates-formes spatiales en orbite solaire, prêtes à modifier leur trajectoire à la moindre alerte.
- Des modules d’interception équipés de moteurs électriques à ions ou de voiles solaires pour accélérer rapidement.
- Un système de détection précoce, exploité par des télescopes terrestres (LSST, Pan-STARRS) et spatiaux, pour lancer l’alerte sur la découverte d’un objet interstellaire.
- Une équipe de planification dynamique qui calcule en temps réel la manœuvre la plus efficace pour rejoindre la comète avant qu’elle ne s’éloigne.
3I/Atlas, pour “Interstellar Interceptor/Advanced Trajectory Launch and Survey”, se veut une infrastructure polyvalente : plutôt que de lancer une fusée dédiée à chaque nouvelle comète venue de l’espace lointain, on place plusieurs petits satellites dans des orbites excentriques autour du Soleil, spécialisés dans la poursuite d’objets rapides.
Les défis techniques à surmonter
Pour qu’une telle mission devienne réalité, plusieurs verrous technologiques doivent être levés :
- Moteurs haute poussée et haute impulsion : Les propulseurs ioniques traditionnels offrent une excellente efficacité (un « impulsion » élevé), mais une poussée faible. 3I/Atlas étudie l’usage de systèmes hybrides combinant moteur chimique d’appoint et propulsion électrique avancée.
- Détection ultra-précise : La trajectoire d’un visiteur interstellaire peut être faiblement perturbée par le vent solaire. Il faut donc des mesures astrométriques ultra-précises, réalisées par espace et sol, pour affiner la cible.
- Guidage et navigation autonomes : Compte tenu de la distance, tout retard de communication pèse lourd. Les intercepteurs doivent donc gérer seuls leur trajectoire et corriger en temps réel les écarts.
- Miniaturisation des instruments : Pour limiter le poids et accélérer la réponse, on vise des charges utiles légères : spectromètres compacts, caméras à haute résolution et capteurs de poussière.
Plan de déroulement d’une mission type
Imaginons qu’en 2027, un nouvel objet interstellaire (3I-2027A) soit détecté à l’aide du télescope Vera C. Rubin (ex-LSST). Voici comment 3I/Atlas pourrait réagir :
- Jour 0 : Découverte et triangulation de l’orbite, estimation de la fenêtre de passage proche de la Terre.
- Jour 1–2 : Calcul de la trajectoire optimale, sélection du module intercepteur le plus proche.
- Jour 3 : Allumage des moteurs d’appoint pour dévier l’orbiteur de son plan initial.
- Jour 4–30 : Phase d’accélération poussée grâce à la propulsion électrique, cap sur le point d’interception.
- Jour 31–60 : Approche rapprochée, déploiement de petits atterrisseurs ou “nano-sondes” pour analyser la poussière et le gaz émis par la comète.
- Au-delà : Transmission des données vers la Terre, puis, si possible, vol de retour pour ramener un échantillon minuscule dans une capsule.
Ce que l’on peut apprendre d’un tel objet
Les échantillons et observations in situ d’une comète interstellaire ouvriraient plusieurs pistes de recherche :
- Composition chimique : Rapport isotopique de l’eau, ratio carbone/azote, présence de molécules organiques complexes ou d’acides aminés.
- Minéraux exotiques : Silicates, phyllosilicates ou grains de fer-nickel qui témoigneraient des conditions de formation très différentes du nuage protoplanétaire.
- Structure interne : Densité, porosité et organisation des grains, pour comparer la mécanique interne aux comètes du Système solaire.
- Origine stellaire : Par recoupement des vitesses et des directions de passage, on pourrait estimer la région d’origine (amas ouvert, formation isolée).
Perspectives et calendrier prévisionnel
3I/Atlas en est encore au stade de proposition conceptuelle, mais plusieurs agences spatiales internationales (ESA, NASA, JAXA) manifestent leur intérêt pour :
- Financement initial d’une étude de faisabilité ;
- Tests de prototypes d’intercepteurs et de propulseurs dans le vide ;
- Déploiement de la première “station d’alerte” en orbite solaire dès 2030.
Si les premiers essais se déroulent sans accroc, un vol de démonstration pourrait avoir lieu mi-2030, avec pour cible un astéroïde proche sur orbite inhabituelle. Le véritable défi, celui de l’interception d’une comète interstellaire, pourrait intervenir dans les années 2032–2035, dès que de nouveaux objets de type 3I seront découverts.
L’aube d’une nouvelle ère en exploration spatiale
Avec 3I/Atlas, la science spatiale ne se contente plus d’observer l’Univers depuis la Terre ou depuis des sondes à trajectoire fixe : elle va à la rencontre d’objets venus d’autres systèmes, portant le témoignage de millions, voire de milliards d’années lumière. À l’ère où l’exploration robotique se fait toujours plus agile et plus réactive, intercepter une comète interstellaire devient un horizon à portée de technologie.